Billet intéressant
Voici un billet publié sur un blog de Libé
J'aime beaucoup...
C’est en mai 2010 que
fut votée en France la loi sur le voile intégral. Les républicains
convaincus furent alors soulagés: les débats avaient été
particulièrement violents, mais finalement, ils avaient permis
d’arriver à un texte clair et simple: la burqa et le niqab était tout
simplement interdits dans l’espace public. Mais il fallut bientôt
appliquer la loi; or, il faut le reconnaître: on n’y avait guère
réfléchi.
Le plus compliqué, ce fut le «dévoilement». Comment déshabiller une
femme en burqa ou en niqab? Dans certains commissariats, on fit usage
de la force. Au nom de la loi, et de la dignité de la femme, on
dévoilait les musulmanes. L’opération, il faut le reconnaître, était un
peu délicate car, comme elles résistaient, il fallait leur arracher le
tissu, et parfois même, quelque peu, le visage. Elles tombaient par
terre, hurlaient, se débattaient, et il fallait souvent plusieurs
brigadiers, assis sur elles, pour les maîtriser, pour étouffer leurs
cris et retirer l’objet du délit. Elles se retrouvaient parfois à
moitié nues sur le carreau, le visage lacéré, les vêtements en
lambeaux, les policiers tout autour d’elles, goguenards. Une de ces
opérations fut filmée par une vidéo amateur: elle fut projetée sur
youtube, visionnée plus d’un million de fois en 24h. L’effet fut
désastreux: on remarqua alors que retirer le voile de force ressemblait
fort à un viol.
Quelques semaines plus tard,
dans le public, se formèrent des groupes de «patriotes», des
«dévoileurs» civils, qui entendaient soutenir et prolonger l’action de
la police, qu’ils trouvaient insuffisante. Ils lancèrent un mot
d’ordre, qui fut repris un peu partout: «Niquons le niqab!» Des lors,
ces milices populaires commencèrent à quadriller les villes, afin de
dévoiler les filles récalcitrantes. Ce fut le début de la terreur. Ces
braves républicains déshabillaient les filles en public, dans la rue,
ce qui occasionna quelques débordements. Au nom de la république
laïque, ils insultaient l’islam, mais aussi les femmes, brouillant
quelque peu le message qu’avaient voulu les députés. Certains patriotes
allèrent même jusqu’à lutiner la vierge musulmane. Les jeunes filles
qui, disait-on, étaient harcelées par les tournantes des jeunes de
banlieue, si elles ne portaient pas le voile intégral, se trouvaient
maintenant exposées aux tournantes des patriotes gaulois, si elles
s’aventuraient à le porter. Les féministes et les républicains
convaincus, ceux en tout cas qui avaient milité pour la loi, se
trouvèrent de plus en plus mal à l’aise, tant les incidents et les
bavures se multipliaient chaque jour. On avait voulu la paix sociale,
on se retrouvait à la limite de l’émeute permanente.
Des phénomènes nouveaux apparurent. Des filles portant la burqa ou le niqab interpelaient les policiers, leur faisaient un doigt d’honneur, comme l’avait fait le ministre de l’identité nationale, et s’enfuyaient aussitôt. Manifestement, il s’agissait de faire de la provocation. Les policiers furent donc chargés de poursuivre les rebelles. En vain. A peine commençaient-ils à donner la chasse à telle ou telle femme voilée qu’ils la voyaient détaler à toute vitesse, et disparaître au coin d’un immeuble. Et ils retrouvaient le niqab ou la burqa, jeté à la hâte sur le bord du trottoir, sans aucun moyen pour retrouver la personne qui, quelques instants plus tôt, se trouvait sous le voile. Mais il fut bientôt évident qu’il s’agissait de jeunes gens, des «sauvageons» pas du tout musulmans en général, disposés à se moquer de la police, à faire courir les pandores essoufflés et vieillissants. Dès lors, le commerce du voile devint florissant, notamment sur Internet. Ceux qui ne pouvaient en acheter les confectionnaient eux-mêmes, avec des bouts de tissus, et les utilisaient pour s’amuser aux dépens des forces de l’ordre. Bientôt, dans les banlieues françaises, «la course au voile» devint sport national.
La situation ne put que s’aggraver lorsque se produisit le premier
attentat. Il tua deux personnes, et en blessa six autres dans une
mairie de la République. Les inscriptions arabes sur le mur calciné ne
laissèrent aucun doute: c’était la main d’Al Quaeda. Le lien avec la
nouvelle législation fut vite fait. C’était à coup sûr une vengeance.
Du coup, certains intellectuels affirmèrent qu’il était temps d’abolir
une loi, qui avait coûté si cher à la France. Mais les députés, de
gauche comme de droite, qui avaient voté la loi, affirmèrent qu’il
n’était pas question de céder à la pression et au chantage, et qu’il
était question au contraire de renforcer le texte.
Ce fut bientôt chose faite. On s’appliqua à interdire le commerce du foulard intégral, le port de la burqa, même dans l’espace privé. Puis il fallut une quatrième loi, et bientôt une cinquième. On finit par interdire le voile semi-intégral, puis aussi le voile simple. De nombreuses musulmanes, pourtant très intégrées, comme on le disait, furent licenciées sans phrase. Il s’agissait, paraît-il, d’empêcher qu’elles ne soient persécutées, les pauvres, par leurs collègues. En d’autres termes, on tentait de lutter contre l’exclusion, fût-ce par l’exclusion. On commença à pratiquer le test de la «soupe au cochon», pour détecter les musulmans non-républicains. Les travailleurs qui avaient l’air arabe devaient manger un morceau de lard, ou consommer de la soupe au cochon, s’ils voulaient être embauchés, ou conserver leur emploi. Certains firent de leur mieux, mais vomissaient aussitôt, ce qui ne facilitait guère leur intégration républicaine. Les mosquées jugées «pro-voile» furent sans cesse prises pour cible. Il fallut renforcer les effectifs militaires à l’entrée des lieux de culte musulmans.
L’affaire devint véritablement un enjeu international. La France fut condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, mais elle fit des émules. Plusieurs pays comme la Pologne, les Pays Bas ou le Danemark votèrent des lois similaires aux nôtres. D’autres pays critiquèrent durement la position des Français. Les discours sur le choc des civilisations qui, depuis l’élection de Barack Obama, avaient perdu de leur vigueur, repartirent de plus belle, et rendirent plus tendues que jamais les relations internationales.
Quand le troisième attentat se produisit dans le métro à Paris, on constata qu’il avait été organisé par quatre personnes: un étudiant musulman d’origine algérienne, une jeune fille qui avait fait un séjour de six mois en prison à cause de son voile, et deux hommes franco-français, deux jeunes gens convertis à l’islam, que le climat général avait fanatisé. Que des Français de souche fussent complices de cette barbarie alarma l’opinion publique. Le plan vigipirate et le plan vigivoile devinrent encore plus rigoureux. Le couvre-feu mis en place dans les banlieues fut étendu à certains centres-villes.
Or un jour, un homme agressa une nonne, sous prétexte qu’elle aussi était une femme voilée. Et que la loi était la même pour tous. Plusieurs religieuses innocentes furent ainsi agressées, y compris par des Français de souche, des laïcards invétérés. Ce jour-là, Philippe de Villiers fit une déclaration publique, très remarquée. Compte tenu des persécutions que subissaient même les religieuses catholiques, il se demandait si on n’était pas allé un peu trop loin avec toute cette série de lois. Venant d’un homme peu suspect de complaisance envers les musulmans, cette position fit réfléchir plus d’un. On lança même à l’Assemblée une mission parlementaire, chargée d’évaluer l’impact des lois, et de réfléchir à un possible adoucissement. Mais il était trop tard: la machine infernale était lancée…
http://observatoire2.blogs.liberation.fr/normes_sociales/2009/11/le-jour-o%C3%B9-fut-vot%C3%A9e-la-loi-sur-le-voile-int%C3%A9gral.html